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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 10:35

La-vie-dAdele-affiche

A 15 ans, Adèle ne se pose pas de questions : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s'affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres, Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...

Adèle mange (goulûment), Adèle aime (totalement), Adèle pleure (souvent), Adèle vit. Toute la beauté (et la nécessité) du dernier film d'Abdellatif Kechiche est là. Le réalisateur de La Graine et le mulet nous donne à voir par les moyens du cinéma et sous son regard (forcément subjectif), l'énergie de la vie.

Celle d'une adolescente d'abord, Adèle, qui se cherche et se découvre, apprend à s'accepter et s'assumer, grandit et devient femme au contact de cette autre jeune femme aux cheveux bleus, Emma, étudiante aux Beaux-Arts. La Vie d'Adèle est en effet d'abord et avant tout un bouleversant récit d'initiation où Abdellatif Kechiche, fidèle à son style extrêmement naturaliste, montre des choses que l'on n'a rarement vues de façon aussi crues et évidentes au cinéma : la violence, le rejet de la différence, la difficulté de l'assumer (cette différence), puis surtout la naissance du désir.

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De façon aussi authentique surtout. On pourra gloser tant qu'on voudra sur les conditions de tournage du film (certainement difficiles), le résultat obtenu par le réalisateur est ahurissant d'authenticité. Kechiche aime Adèle, c'est évident. Avec sa caméra portée, au plus près du visage (souvent filmé en très gros plan) et du corps de son actrice, il nous donne à voir tout ce qui peut la définir : sa nuque évidemment (que l'on connait par coeur à force de la suivre dans tous ses déplacements), mais surtout sa manière de parler, sa manière de pleurer, sa manière de manger... Abdellatif Kechiche raconte d'ailleurs comment Adèle Exarchopoulos lui est apparue évidente dans le rôle lors d'une rencontre au restaurant : "Elle a commandé une tarte au citron, et à sa façon de la manger, je me suis dit : "C'est elle". Elle est "dans les sens", sa façon de bouger sa bouche, de mâcher..."

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Une authenticité qui vient aussi et surtout de ce qui caractérise depuis toujours le cinéma d'Abdellatif Kechiche. Cet art de faire durer les scènes pour capter cet instant magique où l'acteur s'abandonne totalement. Laisser tourner la caméra, laisser improviser ses acteurs, les épuiser (peut-être) pour laisser la vie entrer dans le champ. Cette exigence, le réalisateur la revendique : "Selon moi, être acteur demande l'investissement de toute une existence, l'engagement de tout son être avec des conséquences qui peuvent parfois être douloureuses. C'est un don de soi terrible, pas un métier comme on le fait parfois, de manière un peu futile". Et c'est peut-être Olivier Gourmet, acteur sur La Vénus Noire, qui, loin des polémiques, théorise le mieux la méthode d'Abdellatif Kechiche : "Abdel, il dit "Moteur" et cinquante minutes après il coupe, avec trois caméras qui bougent dans tous les sens. La scène ne dure jamais cinquante minutes, donc c'est à vous de remplir les vides, d'improviser. Après, lui est devant tout ça, il vous dit : "Refais, refais, refais", il vous pousse dans vos derniers retranchements, jusqu'à l'épuisement, un peu comme ses films qui épuisent les spectateurs. Je pense qu'il le sait, qu'il le veut. Il veut que l'acteur passe par différentes étapes pour arriver à je ne sais pas quoi, une espèce de résumé, de condensé de tout ce qui a pu se passer sur les scènes précédentes et à ce moment magique où l'acteur s'abandonne parce qu'il lâche prise, qu'il en a marre et qu'il a envie que ça s'arrête."

De ce travail certainement passionnant sur la durée, il reste dans le film de longues scènes qui sont comme des fragments de vie. Les plus réussies et les plus riches tournent souvent autour des repas. Telles ces deux scènes de rencontre avec les parents d'Emma puis d'Adèle. Abdellatif Kechiche met en miroir les deux scènes et excelle dans la confrontation entre les classes sociales : le milieu plutôt artiste et aisé de la famille d'Emma, celui plus simple et prolétaire d'Adèle. On sent la gêne parfois, la tendresse et l'amour tout le temps dans les deux repas (même si dans le second cas, les parents d'Adèle ne savent pas que leur fille est en couple avec Emma). Au-delà des clichés, Kechiche confronte les univers, les conceptions différentes de la vie, et capte dans la durée une émotion juste. C'est aussi ce qui crée la puissance émotionnelle de son cinéma.

C'est également le cas lorsque, des années plus tard, et alors que les deux femmes sont bien installées dans leur relation, une autre scène de repas va, dans sa durée même, révéler des failles dans leur amour. En une scène, tout est suggéré : la distance entre Emma et Adèle, la difficulté de cette dernière à trouver sa place dans la vie d'artiste d'Emma, la répartition des rôles entre les deux femmes, et même en fin de scène une redistribution des couples qui annonce la suite... Comme dans un tableau dont on découvrirait des détails à force de le regarder intensément, Kechiche révèle dans la durée de la scène des moments de vie. C'est beau et triste à la fois, c'est la vie, c'est merveilleux.

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Ce cinéma-vérité, brut, sans concessions, qui suit son personnage jusque dans sa plus profonde intimité (on peut discuter de la nécessité des scènes de sexe), est encore renforcé par l'absence de musique off. Presque toutes les musiques entendues dans le film sont dans le champ de la caméra, entendues par les personnages autant que par les spectateurs. C'est évidemment une volonté de ne jamais rompre avec le personnage d'Adèle, avec ses sensations. Kechiche ne surligne rien, ne rajoute rien, et nous demande de comprendre son film à partir des sensations de son personnage, rien de plus. En cela aussi, c'est un geste de cinéma très fort.

Libre adaptation du roman graphique de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude, La Vie d'Adèle trouve peut-être ses limites dans les choix d'adaptation d'Abdellatif Kechiche. En voulant toucher à l'universel, certains aspects du destin d'Adèle semblent survolés (coming out, rapports avec ses amis de lycée...). Un exemple parmi d'autres : une fois passée la scène de repas des deux jeunes femmes avec les parents d'Adèle, nous ne les reverrons plus. La violence de la scène avec ses amis de lycée n'a pas non plus de suite, comme si Adèle n'y retournait jamais. Des trous béants dans cette vie que le réalisateur propose pourtant de suivre avec la plus grande sincérité. Le réalisateur lui-même explique ce choix : "J'avais plus le sentiment de traiter, de raconter l'histoire d'un couple, du couple. La problématique de l'homosexualité, je ne voyais pas pour quelle raison je l'aborderais spécialement, car la meilleure façon, si je devais avoir un discours sur ce sujet, ce serait de ne pas en avoir, de filmer cela comme n'importe quelle histoire d'amour, avec toute la beauté que cela comprend." Cela s'explique peut-être par le fait que son cinéma est plus un cinéma du temps présent, que de l'évolution. Trouver du sens dans la scène même, plutôt que dans leur enchaînement. En témoigne également l'absence d'évolution physique du personnage d'Adèle malgré les années qui passent.

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Peut-être pourra-t-on aussi reprocher au film une dernière demi-heure à laquelle on a un peu de mal à croire (à partir de la scène de la rupture). Peut-être la proximité avec les personnages devient-elle alors aussi plus gênante. Peut-être le problème vient-il aussi du personnage d'Emma, rapidement condamné par le film. Trop insensible et conditionnée par son milieu artiste. Le film perd alors en subtilité, d'autant que Léa Seydoux peine à faire passer la moindre émotion.

Le final au vernissage de l'exposition d'Emma apparaît alors comme une respiration bienvenue, une manière pour Adèle de retrouver enfin la paix. Filmée en plan d'ensemble dans une rue de Lille, Adèle peut enfin s'éloigner et poursuivre sa vie.

Guillaume SAKI

La Vie d'Adèle, chapitres 1 et 2 - De Abdellatif Kechiche - Avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Salim Kechiouche, Jérémie Laheurte - Sortie : 9 octobre 2013 - Durée : 2h59


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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 15:29

Oscar Isaac et Marcus Mumford - Fare Thee Well

Inside Llewyn Davis, des Frères Coen - Sortie le 6 novembre 2013

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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 15:23

The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 20:51

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Olivier Gourmet (acteur dans La Vénus noire), à propos d'Abdellatif Kechiche

"Abdel, il dit "Moteur" et cinquante minutes après il coupe, avec trois caméras qui bougent dans tous les sens. La scène ne dure jamais cinquantes minutes, donc c'est à vous de remplir les vides, d'improviser. Après, lui est devant tout ça, il vous dit : "Refais, refais, refais", il vous pousse dans vos derniers retranchements, jusqu'à l'épuisement, un peu comme ses films qui épuisent les spectateurs. Je pense qu'il le sait, qu'il le veut. Il veut que l'acteur passe par différentes étapes pour arriver à je ne sais pas quoi, une espèce de résumé, de condensé de tout ce qui a pu se passer sur les scènes précédentes et à ce moment magique où l'acteur s'abandonne parce qu'il lâche prise, qu'il est épuisé, qu'il en a marre et qu'il a envie que ça s'arrête." (So Film, septembre 2013)

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Abdellatif Kechiche, à propos de son cinéma

"J'ai l'impression pour l'instant - je n'ai réalisé que cinq films, c'est pas énorme - que l'ensemble de ces cinq films est un peu le brouillon, j'espère, d'un prochain. Et que peut-être le prochain sera sera aussi le nouveau brouillon d'un film." (So Film, septembre 2013)

"Quand un acteur ou une actrice commencent à bouillonner intérieurement et qu'ils vivent quelque chose, ça se voit, c'est flagrant. Ils se mettent dans un état de transe quasi hypnotique, et c'est merveilleux. On parle souvent de ma tendance à multiplier les prises et à rechercher l'épuisement pour y parvenir, mais ce n'est pas le seul chemin. On peut aller vite avec des acteurs qui portent la nécessité d'incarner leur personnage. La plupart aspirent à cette vérité, très peu y parviennent ; on ne peut pas le leur reprocher car c'est souvent le cinéma, la façon de faire les films qui empêche de se libérer. Il y a tellement de contraintes techniques, de morcellement du temps de travail, de pression sur le financement que, dans une journée de tournage, beaucoup font en sorte de faire vite et se contentent du minimum. Mon travail avec les comédiens consiste à écarter tout ce qui peut parasiter cette capacité d'incarnation. Je prends mon temps pour leur donner cette liberté. Ce qui les dérange, je peux l'enlever : un micro, une lumière, une marque au sol... Tout ce que je fais, je le fais pour libérer l'acteur, pour qu'il s'épanouisse dans la création." (Télérama, septembre 2013)

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"Selon moi, être acteur demande l'investissement de toute une existence, l'engagement de tout son être avec des conséquences qui peuvent être parfois douloureuses. C'est un don de soi terrible, pas un métier comme on le fait parfois, de manière un peu futile." (Télérama, septembre 2013)

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 14:49

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Si une bande annonce est censée donner envie aux spectateurs d'aller au cinéma, certaines peuvent provoquer l'effet inverse.

Il se pourrait bien que Diana reste dans les bilans de l'année comme la bande annonce la plus pourrie du cru 2013. Histoire édulcorée, mièvrerie de tous les instants, dialogues pathétiques, personnages risibles, la collection Harlequin revisitée par Oliver Hirschbiegel... tout cela en seulement 1 minute 30. Film le plus pourri ? On n'en sait rien, puisque nous n'irons évidemment pas vérifier...

La preuve par l'image : de mémoire de spectateur, on a rarement vu pire (à part peut-être dans un obscur téléfilm sur M6...) !

En revanche, pris comme une parodie, ça pourrait être drôle...

Diana - De Oliver Hirschbiegel - Avec Naomi Watts, Naveen Andrews, Douglas Hodge - Grande-Bretagne - Sortie : 2 octobre 2013 - Durée : 1h53

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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 12:03

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Plus que trois semaines pour découvrir les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck ! Foncez ! La Fondation Cartier pour l'art contemporain consacre depuis le mois d'avril une exposition événement à cet artiste australien, qui fut d'abord créateur et animateur de marionnettes pour la télévision et le cinéma.

Trouble et intense émotion, ce sont les sentiments ressentis devant ces figures humaines aux échelles multiples. On est fasciné devant la précision et la tendresse du regard que porte l'artiste sur ses personnages. On retient particulièrement ce couple sur la plage représenté à grande échelle, ou cette femme à la figure triste portant son bébé devant elle, et deux sacs de course dans ses mains.

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On retient surtout la mise en scène des oeuvres de Ron Mueck. Car on tourne autour de ces sculptures qui peuvent être vues à 360°, à la manière d'une caméra qui tournerait autout de son sujet. Nous sommes alors les propres metteurs en scène de ces figures qui se révèlent selon l'angle à partir duquel on les regarde. Comme ce couple qui, vu de loin, semble se ballader tranquillement, mais dont le malaise se révèle à mesure qu'on l'approche et que l'on remarque certains détails. Ou encore cet homme nu, l'air un peu morbide, placé à l'avant d'une grande barque, et qui semble écrasé par la longueur de l'embarcation.

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Encore une fois et comme dans les plus belles oeuvres d'art, tout cela n'est qu'affaire de regard. Celui de l'artiste bien sûr, mais peut-être surtout la place qu'il accorde à notre propre interprétation de ce qu'il nous laisse à voir. Nos rêves, nos peurs, tout se projette dans les créations de cet artiste hors du commun.

Guillaume SAKI

Exposition Ron Mueck - Fondation Cartier pour l'art contemporain - Jusqu'au 27 octobre 2013

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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 10:31

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Alors qu'elle voit sa vie voler en éclat et son mariage avec Hal, un homme d'affaires fortuné, battre sérieusement de l'aile, Jasmine quitte son New York raffiné et mondain pour San Francisco et s'installe dans le modeste appartement de sa soeur Ginger afin de remettre de l'ordre dans sa vie.

Difficile d'expliquer les critiques dithyrambiques concernant le dernier opus de Woody Allen, sinon par l'aveuglement de la plupart des journalistes face à la carrière du cinéaste. Il est hélas très loin le temps des chefs-d'oeuvre de Maître Woody.

Tout n'est évidemment pas négatif dans cette peinture du déclassement social. On retrouve avec plaisir ce mélange de comédie et de drame propre à son cinéma, cette noirceur de plus en plus présente au fil du temps sous le vernis de la légèreté. On retient particulièrement cette scène terriblement décalée où Jasmine expose avec virulence ses problèmes et ses désillusions aux enfants de sa soeur, interloqués. On aime aussi le côté "mythomane" de Jasmine qui "se réinvente" (comme elle le dit) et ainsi, referme sur elle le piège qu'elle s'est elle-même tendu. Là aussi, le mélange comique/tragique fait mouche.

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Mais si Cate Blanchett se sort plutôt bien de ce rôle difficile de femme dépressive et mythomane, perdue dans sa logorrhée verbale, elle reste très loin d'une performance comme celle de Gena Rowlands dans Une Femme sous influence. Car elle ne peut échapper au principal défaut du film : Woody Allen n'aime pas son personnage. On ne perçoit aucune empathie pour Jasmine, l'identification est donc impossible. Rien n'est fait pour rattraper le personnage, bien au contraire. La dernière scène est à cet égard significative, gratuitement cruelle.

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Côté construction narrative, pas grand chose à en dire si ce n'est que les va-et-vient incessants entre le passé de Jasmine et son présent n'ont pas grand intérêt, si ce n'est d'accabler encore davantage Jasmine. Quant à l'opposition entre les manières de grande bourgeoise de Jasmine et la simplicité du prolétariat incarné par sa soeur (la sympathique Sally Hawkins), elle s'avère vite caricaturale et vaine.

Désolé, chers critiques, mais pour du grand Woody Allen, il faudra encore attendre un petit peu... Certaines de ses dernières comédies, parfois décrites comme mineures (Whatever Works par exemple), étaient beaucoup plus réussies.

Guillaume SAKI

Blue Jasmine - De Woody Allen - Avec Cate Blanchett, Sally Hawkins, Alec Baldwin, Bobby Canavale... - USA - Sortie : 25 septembre 2013 - Durée : 1h38

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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 11:14

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Murielle et Mounir s'aiment passionnément. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget, qui lui assure une vie matérielle aisée. Quand Mounir et Murielle décident de se marier et d'avoir des enfants, la dépendance du couple envers le médecin devient excessive. Murielle se retrouve alors enfermée dans un climat affectif irrespirable, ce qui mène insidieusement la famille vers une issue tragique.

Cinéaste du dysfonctionnement familial, Joachim Lafosse dessine ici un tableau impressionniste d'une grande puissance tragique. Par petites touches, très progressivement, le cinéaste belge nous fait percevoir le malaise qui progresse dans la relation entre ce couple et celui qu'eux-mêmes considèrent comme leur protecteur.

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La tragédie qui gronde est en germe dans les relations qui lient les personnages les uns aux autres, des personnages que l'on découvre au fur et à mesure qu'avance le film. Loin d'asséner des vérités toutes faites, Joachim Lafosse pose des questions sur le comportement de ses personnages. Qui sont les couples dans cette histoire ? Murielle a-t-elle une place face à la relation fusionnelle entre André et Mounir ? Mounir peut-il s'émanciper de l'homme qui a aidé sa famille à avoir un meilleur avenir ? Quel degré de manipulation se cache sous le vernis de douceur d'André ?

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A perdre la raison est un grand film sur le regard. D'abord celui que Joachim Lafosse porte sur ses personnages. Il ne les juge jamais, et nous permet de les comprendre. Malgré la perversité qui s'installe dans les relations, le réalisateur voit toujours plus loin. L'exemple le plus parlant est celui du personnage d'André, incarné par Niels Arestrup qui porte avec lui les stigmates de ses personnages passés (on se souvient du parrain corse dans Un Prophète notamment). Quand Mounir évoque avec lui leur besoin de déménager, la violence de sa réaction, si elle n'est pas exempte de manipulation, montre aussi un abîme de fragilité.

Le regard du spectateur ensuite, ou plutôt celui que Joachim Lafosse veut que ses spectateurs portent sur ses personnages. Car le cinéma est avant tout affaire de regard. Un regard qui passe par une mise en scène qui crée ici un malaise profond. L'utilisation de la caméra portée, les plans séquence, les coupes franches qui marquent pourtant des ellipses temporelles brutales, tout cela crée la tension et un sentiment d'étrangeté. L'impression de suffoquer également. La respiration devient difficile. Comme celle de Murielle, qui se décompose  progressivement. Fatalement.

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Cette mise en scène très maîtrisée place surtout le spectateur en position de voyeur, sentiment renforcé par de très nombreux plans dérobés (à travers l'entrebâillement d'une porte par exemple) tout au long du film. Ce dispositif de spectateur-voyeur est une métaphore du cinéma, mais nous place aussi dans la position d'André lui-même, voyeur par excellence. Le malaise est total.

Le cinéma doit-il tout montrer ? C'est aussi la question que nous pose le réalisateur à travers ce dispositif. Car Joachim Lafosse choisit de ne pas montrer l'irréparable. En réalité, l'effet est saisissant. En laissant l'horreur hors champ, elle apparaît plus présente que jamais. Ce choix radical donne le sentiment d'abandonner le personnage de Murielle et laisse le spectateur à sa propre douleur. Insondable. Implacable.

Guillaume SAKI

A perdre la raison - Réalisé par Joachim Lafosse - Avec Emilie Dequenne, Niels Arestrup, Tahar Rahim - Belgique - Durée : 1h51 - Sortie le 22 août 2012.


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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 14:58

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Vous vous accorderez sûrement avec moi pour dire que The Yards et La Nuit nous appartient comptent parmi les meilleurs polars américains. Ces deux films noirs sur fond de tragédie familiale, emportés par la mise en scène précise et classique de James Gray, développent une rare puissance dramatique.

Dans leur numéro de mai, les Cahiers du cinéma reviennent sur le cas James Gray, à l'occasion de sa sélection en compétition officielle lors de la dernière édition du Festival de Cannes. Car, aussi bizarre que cela puisse paraître, la réception de ses films reste compliquée. Aussi clairs et puissants soient-ils, The Yards (2000), La Nuit nous appartient (2007) et Two Lovers (2008), tous trois présentés à Cannes, en sont repartis bredouilles.

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Pire, The Yards fut hué lors de la projection de presse, descendu par la critique américaine, et abandonné par son producteur Harvey Weinstein. Au box-office américain, le film ne récoltera même pas 1 millions de dollars (alors qu'il en avait coûté 20).

Two Lovers, malgré son casting 4 étoiles (Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Isabella Rossellini...), ne fera pas beaucoup mieux (3 millions de dollars). Il est vrai que James Gray délaissait ici le genre du polar pour s'abandonner à la romance, mais une romance plus crépusculaire que jamais, dominée comme toujours par un dilemme familial. Et livrait l'un de ses plus beaux films.

Même son film le plus porteur commercialement (et peut-être le plus efficace), La Nuit nous appartient, reste un échec au box-office américain (29 millions de dollars). Certains critiques restent aveugles au talent de l'Américain et assassinent le film : "Trop lent pour être un plaisir coupable, trop débile pour être un plaisir innocent", pouvait-on lire dans le New York Post à la sortie du film.

A Cannes 2013, James Gray reste le mal-aimé de la compétition, à nouveau boudé par les festivaliers. Il faudra attendre le 29 novembre pour se faire son idée sur The Immigrant qui semble marquer une rupture dans la filmographie du réalisateur de Little Odessa (reparti avec le Lion d'Argent à Venise en 1994).

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22 juillet 2013 1 22 /07 /juillet /2013 21:18

Kim Novak, pimpante octogénaire, invitée du Festival de Cannes 2013, évoque les dessous du tournage de Vertigo, et notamment la méthode employée par Hitchcock pour la diriger

Kim-Novak.jpg"Il avait choisi des vêtements si inconfortables et amidonnés pour le rôle de Madeleine que je me sentais à la fois crispée et bizarre, j'avais l'impression d'être une enveloppe vide. En un sens, c'était exactement le personnage, puisque Madeleine prétend être quelqu'un qu'elle n'est pas."

"En toute franchise, je ne savais pas exactement ce que je jouais ! Hitchcock me disait d'avancer là, de tourner la tête, de faire ci ou ça. Mais je n'ai jamais eu le sentiment de comprendre les motivations de ce personnage. La seule scène où j'avais enfin l'impression d'avoir quelque chose à jouer, c'est celle où je suis dans le lit de Scottie après qu'il m'a déshabillée. D'un coup je jouais Judy obligée de se comporter comme si elle était Madeleine, draguant ostensiblement celui qui l'a sauvée de la noyade. Mais sinon je reste très insatisfaite de ma prestation."

[Sur l'ensemble de sa carrière] "Etre écoutée et pas seulement regardée, c'était important pour moi qui venait d'une famille où, en tant que fille, il fallait être belle mais se taire. [...] I wanted... a voice. Vous savez, je suis bipolaire mais à cette époque, je l'ignorais. C'est pourquoi j'étais partagée entre l'idée que mes opinions avaient de la valeur et l'idée qu'elles n'en avaient aucune. C'était un peu handicapant dans un monde d'hommes où il était déjà difficile de s'imposer."

(Cahiers du Cinéma, Juin 2013)

 

Noah Baumbach (NB) et Greta Gerwig (GG), les deux voix de Frances Ha

Noah-Baumbach.jpg"Nous n'étions pas peu fiers d'avoir emmené Frances à travers toutes ces pérégrinations sans la barder d'une relation amoureuse classique." (NB)

"Avec Greta, chaque prise est vivante, j'ai l'impression de filmer le comportement d'une personne plutôt que la nouvelle prise d'une actrice. Greta est drôle, et elle est capable d'identifier ce qui est drôle dans ses gestes ou dans une scène tout en mesurant jusqu'où aller dans ses réactions, sans exagération." (NB)

"Il m'est apparu, d'une façon beaucoup plus limpide qu'auparavant, que les indications gestuelles peuvent avoir un réel impact émotionnel. Je liste mes plans avant de tourner, mais finalement beaucoup de choses se mettent en place en les faisant tous ensemble." (NB)

"Un plus gros budget donne autant d'opportunités que de contraintes supplémentaires. Nous nous sommes permis des choses que seule une micro-équipe peut oser, par exemple tourner dans le métro ou venir à Paris. Notre structure était discrète, ultra-légère." (NB)

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[A propos de la méthode de tournage qui a consisté à donner leurs scènes aux comédiens seulement le jour du tournage] "Cela empêche les excès d'intellectualisation et d'interprétation des scènes, les réactions de mes partenaires étaient plus naturelles. Et j'étais au centre de ce dispositif dont j'avais la clé, ce qui me donnait un certain pouvoir, une capacité d'ancrer les scènes. Je ne suis pas coréalisatrice, mais en tant qu'auteure et actrice, j'ai vécu l'expérience pleinement." (GG)

"J'ai toujours essayé de maintenir un équilibre entre préparation et spontanéité. [...] Les acteurs sont souvent beaucoup trop préparés, et c'était formidable de les voir hésitants sur des répliques à peine assimilées, mais en nous offrant une présence" (NB)

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"Comme Frances est danseuse, nous avons travaillé avec un chorégraphe. Nous voulions des mouvements joyeux, pas sophistiqués [...]. Une danse très humaine qui restitue fidèlement les états d'âme. J'aime voir des danseurs étoiles parfaitement coordonnés, mais pour Frances Ha il nous fallait quelque chose de plus humain, d'imparfait." (GG)

"En tant qu'actrice [...], j'ai toujours eu du mal à mémoriser mes répliques sans les associer à des mouvements. Mais dès que je dispose des indications de déplacement, je sais ce que je suis censée dire, sans avoir besoin d'y réfléchir trop. Quand la connexion se fait dans le corps, les mots font sens et sortent tout seuls." (GG)

[A propos des références cinéphiles présentes dans le film] "L'idée n'était pas de rendre hommage à des films, mais éventuellement de faire le film "à la manière de". Les films de Mike Leigh, par exemple, qui donnent tous le sentiment irréductible qu'ils ne sont pas fabriqués, qu'ils ne pouvaient pas être autre chose que ce qu'ils sont, que le réalisateur n'a fait aucun compromis. Et bien sûr, nous avons évoqué Truffaut et Rohmer." (NB)

[Sur le thème de l'humiliation qui innerve l'ensemble des personnages de ses films] "J'ai toujours de l'affection pour eux, et ce n'est pas moi qui les humilie, ils y arrivent très bien tout seuls. Mais leurs systèmes de défense sont plutôt affûtés, et ils s'activent beaucoup pour éviter l'embarras." (NB)

"Le terme de perfectionnisme est à prendre avec précaution, car le cinéma doit rester à la fois un lieu de contrôle et de chaos. Notre métier consiste à essayer de contrôler une situation intrinsèquement chaotique, ce qui est impossible. Et ceci s'applique également au travail de Wes [Anderson], qui joue avec des éléments perturbateurs comme les décors naturels ou les acteurs non professionnels. Lorsqu'on tourne dans la rue un dialogue entre Frances et Sophie, il s'agit de le filmer de la façon la plus maîtrisée possible malgré l'agitation de New York." (NB)

(Cahiers du Cinéma, juin 2013)

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  • : Once upon a time in Cinema
  • : Une invitation à vagabonder au coeur du cinéma, mon cinéma. Ce blog veut créer des passerelles entre les films, entre les cultures, voire même entre les arts, tout en se laissant porter au gré de mes envies de cinéma. Et comme les films se répondent parfois entre eux, ce blog doit être un lieu d'échanges, donc n'hésitez pas à y apporter votre contribution. Laissez-vous maintenant entraîner dans ce journal passionné du cinéma, de tous les cinémas.
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