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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 13:30

James Gray est, selon moi, le meilleur réalisateur américain actuel. Fortement influencé par le Nouvel Hollywood des années 1970 (Scorsese pour les thèmes, Coppola pour la forme), il est devenu en seulement 3 films (Little Odessa, The Yards et La Nuit nous appartient) le maître du film noir. Un peu plus lumineux, Two Lovers est un film-manifeste de son cinéma : son rapport à sa ville, New York, le dilemme tragique, une construction dramatique parfaite, le rapport ambivalent à la famille, et Joaquin Phoenix, peut-être le meilleur acteur de sa génération.

Tous les films de James Gray sont disponibles en DVD (excepté Little Odessa, le plus beau). Si vous ne connaissez pas encore, c'est vraiment le moment de vous y mettre, vous ne serez pas déçus.
James Gray était présent en décembre 2008 au Forum des Images pour présenter ses film, et comme nul mieux que lui ne peut s'exprimer sur son cinéma, la leçon de cinéma qu'il donna à cette occasion est disponible ci-dessous :



Critique



James Gray est l’un des rares jeunes réalisateurs américains actuels (avec peut-être aussi Paul Thomas Anderson, le réalisateur de Magnolia et There will be blood) qui semble bâtir, de film en film, ce que l’on pourrait appeler une « œuvre ». Marquée par un lieu emblématique, New York, et traversée par des obsessions récurrentes : le poids de la famille, la trahison, la culpabilité, le retour du fils indigne, et plus formellement un art de la construction et de la tension dramatiques, un goût prononcé pour la tragédie. Ses personnages sont en particulier constamment confrontés à un dilemme. Mais poussés par ce qui semble être une forme de déterminisme, ont-ils vraiment le choix ? Dans Little Odessa, Joshua Shapiro, le fils indigne devenu tueur à gages, peut-il réellement réintégrer la cellule familiale sans provoquer le drame ? Dans The Yards, Leo Handler, qui tente de se réinsérer après un séjour en prison, peut-il faire confiance à sa famille sans compromette sa situation ? Dans La nuit nous appartient, Bobby peut-il choisir un camp sans se perdre lui-même ? Plus globalement, les personnages de James Gray semblent se caractériser par leur distance (rapprochement ou éloignement) par rapport à la cellule familiale. C’est à nouveau ce programme qui est proposé, cette fois-ci de manière frontale, à Leonard (phénoménal Joaquin Phoenix), le personnage principal de Two Lovers. Doit-il suivre le destin tracé par ses parents et épouser Sandra qui lui est promise parallèlement à la fusion de l’entreprise familiale, ou écouter ses sentiments pour Michelle, sa nouvelle voisine, dotée de cette touche de folie, qui le fait tomber éperdument amoureux ?

 

En passant du film noir au drame sentimental, James Gray poursuit donc son exploration des relations humaines et surtout familiales. La sagesse dicterait à Leonard d’accepter la proposition de ses parents et de se résigner à une vie sans surprise. Son instinct, en revanche, le pousse vers Michelle, qui lui donne une véritable identité, louant ses talents de photographe (sans même cependant avoir vu son travail, au contraire de Sandra). James Gray signe certainement ici son film le plus autobiographique. Lui-même avoue en effet avoir dû s’opposer au giron familial pour tenter l’aventure cinématographique. De la même manière, la famille de Leonard, aimante et dévouée, étouffe ses velléités d’émancipation et de créativité. James Gray révèle ainsi de manière transparente son dispositif cinématographique : comment trouver son identité à l’intérieur de la cellule familiale ?

 

Si la continuité thématique est évidente, une communauté de style s’opère également entre tous les films de James Gray. Quand simplicité rime avec efficacité, le réalisateur se situe aux antipodes du cinéma américain actuel (David Fincher et consorts), et se revendique plutôt dans la veine du cinéma américain des années 70 (Scorsese pour les thèmes, Coppola pour la forme). Selon James Gray, Le Parrain constitue d’ailleurs le sommet du film noir, et Travis Bickle (incarné par Robert De Niro dans Taxi Driver) une bonne définition du personnage tel qu’il le conçoit. Il a d’ailleurs trouvé avec Joaquin Phoenix, un acteur caméléon, semblable à un Robert De Niro jeune, capable d’« être » littéralement son personnage, aussi ordinaire soit-il. Sans effets appuyés et avec une économie de plans étonnante, James Gray développe une histoire à l’intérieur de laquelle ses personnages révèlent complexité et ambiguïté. Leonard est d’abord une définition de l’anti-héros. En deux plans, la première scène du film enserre le personnage dans une image de dépressif suicidaire. Utilisation du ralenti, cadrage en contre-plongée et image glacée, James Gray installe une atmosphère qui épouse les émotions de son personnage. Dépressif, il l’est immanquablement, mais il est aussi bien d’autres choses. C’est ce que le film, et plus particulièrement le personnage de Michelle, révélera. De la même manière, Sandra et Michelle sont beaucoup plus ambiguës qu’elles ne le paraissent au départ. Imposée à Leonard au début du film, Sandra n’est pas le laideron attendu et tombe amoureuse jusqu’à vouloir le « sauver de ses démons ». Quant à Michelle, paraissant sûre d’elle et pétillante au début du film, elle est en fait une petite chose fragile dont il faut s’occuper. Révélant une face cachée et créatrice de Leonard et lui redonnant goût à la vie, c’est elle qui a besoin d’être « sauvée ». Elle constitue surtout pour Leonard une sorte de fantasme, mis en scène comme tel par James Gray. Lorsqu’elle lui donne rendez-vous dans un grand restaurant de Manhattan, la fascination qu’elle exerce sur Leonard se transpose sur la manière dont James Gray nous fait percevoir la ville. Le lyrisme de la musique et des travellings en contre-plongée sur la nuit new-yorkaise traduisent alors parfaitement cet envoûtement.

 

C’est avec beaucoup de pudeur et d’élégance que James Gray nous mène au cœur de ce nœud d’émotions et d’affects. La question du déterminisme, si présente dans ses précédents films, prend ici tout son sens à travers des choix de mise en scène. Lorsque l’euphorie à l’intérieur de la boîte de nuit laisse place à l’attente angoissée à l’extérieur, quelque chose de tragique se met en place. Leonard ne cesse d’ailleurs d’attendre Michelle jusqu’au final, doux-amer.

 

Two Lovers est finalement un grand film-manifeste sur le cinéma de James Gray. Il clôt avec brio un cycle sur New York, traitant ici de la fin des illusions et de la capacité à faire son deuil (d’un amour dans le film, et pour le réalisateur de sa période new-yorkaise). Avec James Gray, la vie n’est ni profondément triste ni profondément gaie, elle est un peu des deux à la fois. Un cinéma intermédiaire, hors du temps, et que, sous le signe de l’ambivalence (des personnages, des situations), il est certainement le seul cinéaste américain à proposer aujourd’hui.

Bande annonce - Two Lovers



Bande originale - Two Lovers (Henri Mancini, Lujon)

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