24 mai 2013
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Rome dans la splendeur de l’été. Les touristes se pressent sur le Janicule : un Japonais s’effondre foudroyé par tant de beauté. Jep Gambardella – un bel homme au charme irrésistible malgré les premiers signes de la vieillesse – jouit des mondanités de la ville. Il est de toutes les soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille et sa compagnie recherchée. Journaliste à succès, séducteur impénitent, il a écrit dans sa jeunesse un roman qui lui a valu un prix littéraire et une réputation d’écrivain frustré : il cache son désarroi derrière une attitude cynique et désabusée qui l’amène à poser sur le monde un regard d’une amère lucidité. Sur la terrasse de son appartement romain qui domine le Colisée, il donne des fêtes où se met à nu "l’appareil humain" – c’est le titre de son roman – et se joue la comédie du néant. Revenu de tout, Jep rêve parfois de se remettre à écrire, traversé par les souvenirs d’un amour de jeunesse auquel il se raccroche, mais y parviendra-t-il ? Surmontera-t-il son profond dégoût de lui-même et des autres dans une ville dont l’aveuglante beauté a quelque chose de paralysant…
Splendeurs et décadence, c'est le programme du premier vrai choc de la compétition cannoise. Paolo Sorrentino nous offre un objet filmique inclassable, dans un équilibre instable entre merveilles de la Rome éternelle et désenchantement d'une société décadente. C'est Jep Gambardella, "roi des mondains" en proie au doute (Toni Servillo pourrait remporter le Prix d'interprétation), qui pose son regard, tantôt satirique tantôt mélancolique, sur une société dans laquelle il se reconnait mais dont il voudrait s'échapper (voir la scène splendide de la "disparition" de la girafe).
Le film, passionnant, est construit sur de constantes ruptures de rythme. Le touriste japonais terrassé par les beautés romaines, cède la place l'instant d'après à une soirée dantesque aux excès soulignés par une mise en scène stroboscopique. Seule l'entrée en scène de Jep, filmée au ralenti, met fin à cette comédie décadente et impose le personnage à la fois comme emblème et contrepoint à cette société qui s'enivre pour oublier son propre désarroi.
Féroce satire sociale et religieuse, le film se double donc d'une profonde mélancolie lorsque Jep tente d'échapper à sa condition. S'il montre que du chaos peut naître la "beauté", Sorrentino dresse surtout le portrait inquiétant d'une société déliquescente.
Le plus étonnant avec La Grande Bellezza, c'est que au-delà du fond qui peut parfois paraître obscur, le film de Paolo Sorrentino est d'abord une expérience sensorielle assez fascinante. Alternant démesure et retenue, à la fois oppressant et magique, le film est conduit de bout en bout par une folie communicative qui pourrait bien se voir récompensée lors de la remise des prix du 66e festival de Cannes. On parie en tout cas sur un Prix d'interprétation pour le génial Toni Servillo.
Guillaume SAKI.