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19 novembre 2013 2 19 /11 /novembre /2013 10:48

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Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d'un jeune chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village en 1961. Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu'un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu'il se crée lui-même. Il ne survit que grâce à l'aide que lui apportent des amis ou des inconnus, en acceptant n'importe quel petit boulot. Des cafés du Village à un club désert de Chicago, ses mésaventures le conduisent jusqu'à une audition pour le géant de la musique Bud Grossman, avant de retourner là d'où il vient.

A première vue, Inside Llewyn Davis est un film mineur dans la filmographie des frères Coen. Retrouvant leur figure désormais bien connue du loser magnifique, le film semble rejouer en mode mineur la crise existentielle de leur chef-d'oeuvre A Serious Man. A première vue seulement... Car en réalité, c'est le changement de registre opéré par les frères Coen qui donne cette première impression. S'il est peut-être moins personnel, Inside Llewyn Davis évolue sur un registre plus intime, sur une corde plus fragile. Ce qui explique pourquoi on peut passer à côté de la grâce de ce très beau film, ce qui avait été mon cas à sa première vision.

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A travers le parcours cyclique sur une semaine d'un chanteur folk dans l'atmosphère du Greenwich Village des années 60, les frères Coen retrouvent donc cette figure du "loser magnifique" qui traverse toute leur filmographie, de Barton Fink à A Serious Man. Prenant un malin plaisir à malmener leur personnage, ils proposent ici un espèce de voyage immobile en forme de boucle qui n'aboutit nulle part : "Avec Inside Llewyn Davis, nous avions cette même idée paradoxale de tourner une odyssée, un voyage, avec un personnage qui n'arrive nulle part. Il marche mais n'aboutit jamais" (Ethan Coen). Car si Llewyn Davis tente de vivre de sa musique, il en est empêché par l'accumulation d'obstacles placés sur son chemin. Une accumulation de mauvais choix dont il est plus ou moins responsable : une amie enceinte d'un enfant dont il pourrait être le père, l'abandon de ses droits d'auteur sur une chanson qui pourrait devenir un tube, un agent qui l'escroque... Tout fout le camp, rien ne va. Revisitant le mythe de Sisyphe, les frères Coen jouent sur la répétition des situations (Llewyn se réveille chaque matin sur un canapé différent) pour travailler leur personnage jusqu'à l'absurde. La vie de Llewyn n'est qu'un éternel recommencement, une spirale de l'échec : "Tout le complexe du personnage tient à cela : être prisonnier d'un cercle et ne faire que des mauvais choix" (Ethan Coen). Au point que même lorsqu'il décide de quitter la musique pour s'engager dans la marine marchande, il ne peut que rater sa sortie...

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Mêlant brillamment la mélancolie et l'humour, Inside Llewyn Davis est une véritable "comédie dépressive" (Joel Coen parle de "dépression musicale"). Malgré son sujet, le film n'est étonnamment jamais glauque car les frères Coen tournent toujours le désespoir de Llewyn Davis en dérision. Du chat des Gorfein aux personnages plus inquiétants qu'il rencontre dans son voyage vers Chicago, les frères Coen nous font rire des malheurs de Llewyn. Jusqu'à cette scène, peut-être la plus forte du film, où se présentant à Chicago devant un grand producteur, ce dernier lui conseille de reformer le duo avec son ancien partenaire (qui s'est jeté d'un pont peu de temps auparavant). L'ironie cruelle des frères Coen est alors combattue par le regard noir de Llewyn. La séquence est bouleversante et la force du film est là, dans ce "pas de deux" fragile entre ironie et tendresse pour leur personnage.

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Car Inside Llewyn Davis est aussi un film étonnamment "doux". Une douceur qui passe d'abord par cette atmosphère cotonneuse, portée par le beau travail sur l'image de Bruno Delbonnel. Cette atmosphère donne au film un aspect de "rêve ou cauchemar éveillé", de conte d'hiver. Une douceur et une mélancolie qui percent surtout dans les séquences musicales du film, où Llewyn semble ouvrir son âme, son coeur, respirer enfin. Les frères Coen ont d'ailleurs choisi de traiter les séquences musicales de manière assez radicale, puisque toutes les chansons ont été captées en direct, sans play-back et surtout dans leur intégralité. Elles "représentent" aussi le personnage de Llewyn : "Dans le film, le personnage et le musicien s'éclairement mutuellement, ils se tiennent l'un à l'autre. Ecouter une chanson de Llewyn Davis, c'est aussi découvrir sa personnalité, sonder son âme" (Joel Coen).

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A cet égard, il faut saluer la superbe performance d'Oscar Isaac. Stoïque face aux malheurs qui s'abattent sur lui (ce qui autorise d'ailleurs le rire), il est étonnant de voir à quel point son visage (triste) change peu d'expression au cours du film. Comme dit précédemment, l'émotion la plus forte (qui va motiver sa décision de tout arrêter) passe dans cette scène (éclairée en quasi noir et blanc) de rencontre avec le producteur à Chicago. Les véritables émotions viennent de sa musique, ce moment où il se met à nu.

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Inside Llewyn Davis est enfin un film magnifique sur la condition de l'artiste. A quoi tient le succès ? La chance, le hasard, les compromis ? L'intégrité est-elle soluble dans l'enfer du show-business, où seul l'argent compte ? Le grand drame de Llewyn, c'est de se perdre par excès d'intégrité. Il ne voit pas que la chanson humoristique (et qu'il trouve ridicule) qu'il enregistre en trio pourrait être un succès. Ou ne veut pas le voir. C'est aussi tout le sens de la confrontation (assez jouissive) entre Llewyn et Jean (étonnante Carey Mulligan, magique quand elle est énervée). Les frères Coen se gardent bien de prendre parti, mais réservent un dernier coup du sort à leur personnage en refermant le chapitre Llewyn Davis avec l'éclosion d'une future star : Bob Dylan.

Guillaume SAKI

Inside Llewyn Davis, de Joel et Ethan Coen - Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman... - USA - Durée : 1h45 - Sortie : 6 novembre 2013


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